En décembre dernier, c’était l’OCDE qui nous annonçait que moins d’inégalités était synonyme de plus de croissance économique. Elle invitait d’ailleurs les politiciens à ne pas seulement essayer d’améliorer le sort des plus démunis, mais de viser plus large, par exemple en mettant en place des politiques qui avantagent les 40 % les plus pauvres de la société. Selon elle, ce n’est pas en évitant l’indigence qu’on arrive à stimuler l’économie, mais en permettant un réel enrichissement de la base.
L’an dernier, contre toute attente, un dense livre sur l’économie a connu un succès international. Le capital au XXIe siècle de Thomas Piketty démontrait clairement comment la part de richesse accaparée par les plus riches va en augmentant aux dépens de ce que possède le reste de la société. Comment en est-on arrivé là? Par des choix politiques et économiques. Selon lui, le choix que les pays industrialisés ont fait après la Deuxième Guerre mondiale, d’imposer plus fortement les plus nantis a contribué grandement à réduire les inégalités en améliorant la situation financière de l’ensemble de la population. C’est ensuite que ça se gâte, quand les Reagan et Thatcher sont arrivés au pouvoir avec d’autres ambitions économiques. Plutôt que de favoriser des mesures sociales, un État fort ou un système de taxation progressiste, ils misent sur une réduction de services, un retrait de l’État de son rôle social et une réduction de la charge fiscale des nantis. Le ruissellement peut ensuite s’opérer. Ces choix, censés aider tout le monde par le ruissellement, n’ont profité qu’aux plus riches, nous dit Piketty.
Il y a trois ans, un chapitre a été consacré au ruissellement dans le livre Zombie economics de John Quiggin. Dans ce livre, l’auteur aborde plusieurs théories économiques et explique comment celles-ci ont été maintes fois démontées, sans que les personnes qui y croient soient capables de s’en détacher. Le ruissellement côtoie dans ce livre la grande modération (la fin des cycles économiques), l’hypothèse des marchés efficients (le prix sur le marché financier est un bon étalon de la valeur réelle des actions), la loi de Say (tout ce qui est économisé est investi et l’offre crée la demande), la privatisation (parce qu’à but lucratif et en concurrence, le privé fait tout mieux) et l’austérité expansionniste (réduire les dépenses de l’État améliore la confiance dans l’avenir, donc induit plus d’investissement). Malgré le fait que l’expérience et la science démentent la réalité de ces théories, elles sont encore remâchées et recrachées comme vérité et comme base à des politiques publiques.
Si l’on remonte encore un peu le temps, en 2007, un rapport sur le ruissellement est publié par un économiste en chef de l’OCDE en collaboration avec deux professeurs, l’un de Harvard et l’autre de l’Université nationale d’Australie. Ils y étudient les données provenant de 12 États d’économies avancées de 1905 à 2000 pour n’y voir aucune relation entre la part de richesse des plus nantis et la croissance économique. Au contraire, ils observent qu’un déclin de cette part dans les années 1960 a un effet statistiquement significatif dans l’augmentation du PIB dans les années suivantes.
Peut-être est-ce encore trop près d’aujourd’hui? Peut-être que ça prend plus d’années pour intégrer les leçons des scientifiques? Alors, allons encore plus loin. En 1994, soit un peu plus d’une dizaine d’années après l’arrivée des politiciens néolibéraux au pouvoir, les économistes Alberto Alesina et Dani Rodrick ont analysé les données provenant de l’OCDE et de la Banque mondiale de 65 pays industrialisés pour découvrir que la croissance économique était plus faible quand les personnes composant les 5 % et les 20 % supérieurs possédaient une part plus importante de la richesse.
Bref. Le ruissellement, ça ne fonctionne pas. On le sait depuis longtemps, chiffres, statistiques et état de la société comme preuve. Les avis d'experts s’accumulent pour mettre en garde contre l’augmentation des inégalités, pas seulement sur le plan social, mais aussi par souci économique. Et pourtant, et pourtant... Parions que ce n’est pas demain la veille que nos gouvernements sauront admettre leurs erreurs et changer de direction. Car si la réalité ne se conforme pas à la théorie, forcément, c’est que la réalité a tort.
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